L’art de vivre
Les carnets du poète chinois Li Yu (1611-1679) nous font savoir que la pratique d’habiter peut être envisagée comme une constellation d’actes ordinaires que chacun peut accomplir. La vie y est décrite avec une science joyeuse du quotidien comme un miroitement d’instants : « dormir, s’asseoir, marcher, se tenir debout, boire, converser, prendre un bain, jouer avec son chat ou avec celui du voisin, boire le thé, écouter, s’occuper de ses animaux, arroser ses plantations, nettoyer, disposer des objets sur sa table… »
L’art de vivre que décrit Li Yu est performatif et foisonnant d’aventures personnelles, mais il fait monde.
Ici, le quotidien profane s’oppose à l’idée de centre, de forme unique, d’espace monument. Ne faudrait-il pas situer la réalité de l’architecture dans ce réseau des arts de la vie, ces relations horizontales entre les choses, les actes et les personnes qui peuplent la ville ?
Une architecture qui donne à chacun l’occasion de suivre et multiplier, avec le poète Edouard Glissant, les lignes d’errance de sa propre vie sociale, mouvements sans finalité programmée, possibilités de rencontre : “L’errant récuse l’édit universel, généralisant, qui résumait le monde en une évidence transparente, lui prétendant un sens et une finalité présupposés. Il plonge aux opacités de la part du monde à quoi il accède. La pensée de l’errance renonce volontiers à la prétention de sommer ou de posséder. »
Saveurs, sensations, errances, rencontres, humeurs… pour Li Yu l’art de vivre repose sur notre capacité à voir de façon impromptue “du beau partout”. Une architecture de l’art de vivre ne devrait-elle pas ouvrir cet horizon de sensations ? Cuisiner dehors en vue du jardin comme le propose la maison de St-Jean-d’Illac, travailler face à une montagne magique miniature comme dans le centre d’archéologie Archeodunum, être immergé dans le feuillage des arbres comme dans la maison Tabanac… Tout un art des sensations familières et extraordinaires de la vie quotidienne.