Agencement - S’affranchir des conditions d’homogénéité
Les auteurs Gilles Deleuze et Félix Guattari désignaient sous le terme d’agencement une série d’opérations, d’abord linguistiques, censée faire co-fonctionner des termes hétérogènes dans la production d’un énoncé.
Au-delà du domaine du langage et de la poésie, nous pouvons explorer de telles opérations dans l’architecture : distributions, répartitions, déplacements, duplications, variations… l’agencement travaille sur le mode de connexion des segments. Pour le concepteur, cela revient à agir sur des multiplicités horizontales et non pas sur les parties subordonnées d’un tout unique, le chef d’oeuvre. Agencer, c’est chercher à s’affranchir, dans notre production, des “conditions d’homogénéité” que pourrait induire toute structure d’ordre déterminante, Deleuze parle d’écriture “libre et indirecte”.
En architecture, ce principe d’agencement ré-assemble des choses déjà-là, il n’est jamais très éloigné du quotidien mais aussi du vivant, du collectif. Dans le projet de jardin du parc à Tarbes, l’une des premières interventions concerne les strates muscinales du paysage : constituée par les mousses et lichens au sol, elles ne dépassent jamais quelques centimètres de hauteur. Des plaques de mousses sont prélevées à certains endroits et replantées à d’autres, des rizhomes sont divisés et repiqués, des arbustes déplacés, le jardin se redistribue. Lors du workshop South West Detroit project c’est le jardin sauvage des strates herbacées qu’il faut agencer. Une flaque d’eau existante est augmentée en bassin, elle consolide alors les conditions hygrométriques propres au milieu humide des plantes sauvages existantes sur place.
On organise le riche voisinage des choses, l’agencement produit des milieux de vie. Autre démarche d’agencement : de multiples jardins potagers sont organisés sur le sol végétal lors de la reconstruction du cinéma Sans Souci dans le township de Soweto. Réalisés avec des plantes existantes sur le lieu même du projet ou dans le quartier, avec des semis préparés collectivement sur place, mais aussi bordés de mosaiques issues des ruines abandonnées, le cinéma est un processus sans fin. Il relève d’une esthétique de la rupture et du raccordement, une esthétique de la terre, telle que la définit Glissant :
“Car tout est là, et presque tout est dit, quand on fait remarquer qu’il ne s’agirait en aucun cas de transformer à nouveau une terre en territoire. Le territoire est une base pour la conquête. Le territoire exige qu’on y plante et légitime la filiation. Le territoire se définit par ses limites, qu’il faut étendre. Une terre est sans limites, désormais. C’est pour cela qu’il vaut qu’on la défende contre toute aliénation. Esthétique du continu-variable ; du discontinu-invariant. »